L'aventure c'est l'aventure ?
L'édito de Montagnes Magazine daté avril 2016.
Souhaitons d’emblée l’échec de cet édito,
s’il tentait de mettre en cage la volatile
aventure.
À coup sûr, fort heureusement, ces 3 500 signes se fracasseraient sur l’impossible définition. L’aventure. Ah ah ! A majuscule ou a minuscule ? Telle n’est pas la question. Bon nombre de motsconcepts, de mots-idées, de mots-fantasmes souffrent de capitales devenues trop lourdes pour leurs petites jambes à empattement. La grosse tête.
Liberté. Voyage. Engagement… Un complexe
de supériorité fait vaciller les plus belles lettrines.
Comment alors parler de l’aventure sans se risquer
à la définition ? Le Larousse, lui, fait le job, a
minima : « n.f. du latin adventura, choses qui
doivent arriver. 1. Événement imprévu, surprenant.
2. Entreprise hasardeuse. » L’aventure serait donc
à la fois quelque chose qui doit arriver mais
surprenant à la fois. Pas clair.
Sorti du dictionnaire, comment mettre en mots
ce qui nous met en marche ? Le grand air comme
préalable ? Proust et Pascal, qui n’étaient pas
des manches, revendiquaient l’invention totale
de leurs aventures littéraires assis entre quatre
murs. Le risque alors ? Bien des pèlerins de tous
poils vivent pourtant leur grande aventure sur
les chemins aseptisés de Compostelle. L’engagement et la durée ? La plupart des montagnards
reprennent leur souffle dans des virées de proximité,
avec retour à l’heure de l’apéro, quand
quelques-uns suspendent un peu plus le temps par
une nuit en cabane ou refuge, sans prétentions.
On bute.
Il y a quelques mois, un article en ligne eut de
l’écho dans le petit monde autoproclamé des
aventuriers. Intitulé « Les petits faussaires de
l’aventure », son auteur, Patrick Filleux, révélait les
dérives d’une expédition antarctique menée par
un couple français (guide et ravitaillements dissimulés,
traversée qui n’était qu’un aller-retour…).
Outre le mensonge par omission, cette expédition
est symptomatique du besoin actuel de justification,
le plus souvent chiffré. «2045 kilo mètres
en 74 jours par -50 °C», annonce le livre. Le chiffre,
ce degré zéro de l’imagination. Pire : il justifierait
tout et n’importe quoi. Levi-Strauss ne disait
pas autre chose dans les premières pages de
Tristes tropiques : « C’est un métier maintenant
d’être explorateur […] métier qui consiste […]à
parcourir un nombre élevé de kilomètres et à
rassembler des projections fixes ou animées,
grâce à quoi on remplira une salle […]d’une foule
d’auditeurs auxquels des platitudes et des
banalités sembleront miraculeusement transmutées
en révélations, pour la seule raison […]que
leur auteur les aura sanctifiées par un parcours de
vingt mille kilomètres.» On est en 1955.
On en revient à notre échec annoncé. Quel
dénominateur commun à tout ça ?
Peut-être faut-il l’envisager de la même manière
qu’un article de journal. Partir à l’aventure ne
serait ni plus ni moins que l’acte de porter un
regard, sans prétendre tout dire. Un angle, comme
on dit dans le jargon journalistique. Un point de
vue. Sans limite ni seuil de temps ou d’espace.
Juste celle de l’imagination et de la créativité.
En regardant l’arc alpin sur une carte, Berhault
voyait une ligne. Comme lorsqu’il regardait une
face nord, conscient que bien d’autres lignes
côtoyaient celle qu’il imaginait sur le moment,
que d’autres aventures étaient imaginables,
parfois juste à côté.
Il semblerait qu’« aventures » soit invariable et
prenne un « s ». On avance…